vendredi 8 avril 2016

Les Africains du Panama (3) : ces barons des affaires qui prospèrent offshore

Par Joan Tilouine (avec l'ICIJ)

LE MONDE Le 05.04.2016 à 09h53


C’est un immeuble banal sur la Calle 54, dans le quartier financier de Panama City. Au premier étage se trouve le siège d’une des plus grandes sociétés mondiales de domiciliation d’entreprises offshore : Mossack Fonseca. Depuis des décennies, les secrets les mieux gardés de la finance y sont dissimulés. En toute discrétion, la firme panaméenne a enregistré des centaines de milliers de sociétés dans des paradis fiscaux tels que les îles Vierges britanniques, Nioué, les Seychelles, les Emirats arabes unis, ou à domicile au Panama.


Le Monde a eu accès à plus de 11 millions de fichiers internes de Mossack Fonseca, obtenus par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et partagés au réseau du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). On retrouve dans les « Panama papers » certains de ces hommes et femmes d’affaires qui opèrent en Afrique à travers des complexes circuits financiers offshore.

Les « Panama papers » en trois points

Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.

Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.

La femme de l’ancien président guinéen

Mamadie Touré n’est pas vraiment une consultante et encore moins une spécialiste du secteur minier en Guinée. En 2006, la quatrième épouse du président-général guinéen Lansana Conté, arrivé au pouvoir par la force vingt-deux ans plus tôt, figure pourtant dans les « Panama papers ». Cette même année, elle devient en effet fondée de pouvoir de la société Matinda Partners and Co Ltd.

Ce véhicule financier de l’épouse du président est domicilié bien loin de Conakry : aux îles Vierges britanniques, un paradis fiscal opaque. Selon les documents internes de la firme panaméenne Mossack Fonseca consultés par Le Monde, c’est une société genevoise de gestion de fortune, Agefor SA, qui l’a enregistrée et a orchestré le montage financier complexe pour dissimuler le plus possible le nom de la première dame. Comment ? A travers d’autres véhicules financiers comme Beneficence Foundation, actionnaire de Matinda, dont le gérant n’est autre que Agefor SA.

Lire aussi : Les Africains du Panama (2) : ces ministres en Algérie et en Angola clients de Mossack Fonseca

En 2006 toujours, Mamadie Touré est approchée par le diamantaire Beny Steinmetz Group Ressources (BSGR), qui a ouvert une filiale à Conakry. Des représentants de l’homme d’affaires franco-israélien lui auraient demandé de convaincre le président de lui céder les droits sur le plus grand gisement de fer inexploité au monde, Simandou, ce que le groupe Beny Steinmetz a toujours démenti catégoriquement. En 2008, année de la mort du chef de l’Etat, le groupe obtient toutefois les droits de la concession grâce à l’aide de Mamadie Touré qui signe plusieurs documents et contrats avec BSGR en tant que « femme d’affaires » à la tête de Matinda Partners and Co Ltd, une société fermée en 2010, selon les « Panama papers ». Elle aurait perçu, selon ses déclarations aux enquêteurs américains, plus de 5,3 millions de dollars. Contactée à plusieurs reprises, Mme Touré n’a pas souhaité s’exprimer. Beny Steinmetz sera par la suite accusé de corruption par les justices américaine et suisse.

Lire aussi : Les Africains du Panama (1) : les circuits offshore des « fils de »

L’incontournable Beny Steinmetz

On croise également Beny Steinmetz directement dans les « Panama papers ». Le diamantaire franco-israélien, établi à Genève, est à la tête d’une fortune estimée entre 4 et 8 milliards de dollars (3,5 et 7 milliards d’euros) acquis grâce à des affaires réalisées en Afrique à travers des sociétés hébergées dans les paradis fiscaux. Le cœur de son empire est une fondation liechtensteinoise créée en 1980, Balda, dont Me Marc Bonnant, avocat à Genève, est administrateur et Beny Steinmetz un bénéficiaire et conseiller.

Dans les « Panama papers », M. Steinmetz apparaît comme ayant droit économique de la société Octea Ltd qui détient des parts dans une myriade d’autres entreprises domiciliées dans un port franc de Genève et dans d’autres trous noirs de la finance et du commerce. Détenue par BSGR, domiciliée à Guernesey, Octea Ltd, enregistrée aux îles Vierges britanniques par Mossack Fonseca, est l’unique actionnaire de Koidu Holdings SA, devenue Koidu Ltd en 2012.

Lire aussi : La justice panaméenne ouvre une enquête sur les révélations des « Panama papers ».

Cette dernière société exploite des mines de diamants à l’est de la Sierra Leone et fournit principalement le joaillier américain Tiffany & Co. Selon le Réseau africain de centres de journalisme d’investigation (ANCIR), partenaire comme Le Monde pour l’enquête « Panama papers » du Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), Octea a exporté entre 2012 et 2015 des diamants bruts pour un montant de 330 millions de dollars. Mais, selon l’ANCIR, la complexité des montages financiers offshore révélés par les documents internes de Mossack Fonseca permet une évaporation des revenus à travers les sociétés établies dans des paradis fiscaux. C’est ainsi que Koidu Holdings SA ne détenait, en 2007, que 5 401 dollars sur son compte HSBC.
Toutefois, la gestion agressive du groupe Steinmetz, principal investisseur privé étranger dans le pays, a provoqué des tensions avec les autorités locales sierra-léonaises qui ont pointé en 2015 de nombreux impayés et des abus, comme l’a confirmé au Wall Street Journal l’ancien chef exécutif de BSGR, Brett Richards, qui a démissionné avec perte et fracas. Contacté par l’ANCIR, le groupe Beny Steinmetz Group Ressources n’a pas souhaité réagir.

L’homme le plus riche d’Afrique

Celui dont la fortune est estimée en 2016 à 17 milliards de dollars par Forbes apparaît également dans les « Panama papers ». Aliko Dangote est l’un des actionnaires de la société pétrolière Ovlas Trading SA enregistrée en 2003 par Mossack Fonseca aux îles Vierges britanniques et dirigée par son neveu, Sayyu Dantata. Selon un document consulté par Le Monde daté de 2009, les deux hommes sont actionnaires de cette société au capital d’un million de dollars. L’autre actionnaire est la société Oil & Gas Co Ltd domiciliée aux Seychelles et à Lagos, capitale économique du Nigeria. Aliko Dangote est connu pour avoir justement fait fortune dans les secteurs non pétroliers du ciment, du sucre et du blé.

Lire aussi : « Panama papers » : le Panama, trou noir de la finance mondiale

En 2011, Ovlas SA change de nom pour devenir Petrowest SA et de juridiction pour s’établir aux Seychelles, selon les « Panama papers ». M. Dantata reste le principal actionnaire aux côtés de Patrice Alberti, un ancien banquier de BNP Paribas, qui a alors pour adresse Ovlas Services SA à Genève. Aliko Dangote a également été actionnaire de Petrowest. Cette société est une filiale du groupe MRS, dirigé par M. Dantata et M. Alberti, dont l’activité s’étend à toute l’Afrique de l’Ouest et au Cameroun. Contacté, M. Dantata s’est refusé à tout commentaire, estimant que rien ne l’empêchait de posséder des sociétés immatriculées aux îles Vierges britanniques.

John Bredenkamp, un proche de Mugabe

On retrouve aussi dans les « Panama papers » l’homme d’affaires zimbabwéen John Bredenkamp, 75 ans, très proche du dictateur Robert Mugabe, 92 ans. Connu pour avoir contourné l’embargo qui s’appliquait à la Rhodésie d’autrefois, M. Bredenkamp a aussi été accusé d’avoir vendu des armes au début des années 2000 à la République démocratique du Congo, où il s’en ensuite vu octroyer des mines dans le Katanga par le président Laurent Désiré Kabila.

Son nom figure en 2008 sur la liste noire du département du Trésor américain qui pointe cet « insider du régime de Mugabe » bien connu pour ses activités de vente d’armes, de commerce du tabac, ses investissements douteux, sa présence dans les secteurs du pétrole, du tourisme et du diamant, ainsi que son financement d’« entités para-étatiques » au Zimbabwe. Parmi les 19 sociétés pointées par l’Office of Foreign Assets Control (OFAC), chargé de sanctionner les entreprises faisant commerce avec des pays placés sous embargo américain, quatre ont été enregistrés par Mossack Fonseca : Timpani Export Ltd, Ridgepoint Overseas Developments Ltd, Tremalt Ltd, Breco International.

Que sait-on de la source des « Panama papers » ?
Le « leak » qui a mis au jour le scandale des « Panama papers » a permis la fuite de millions de documents et données de la firme panaméenne Mossack Fonseca. Elle provient d’une source qui a remis gracieusement au Süddeutsche Zeitung les fichiers de la firme spécialisée dans le montage de sociétés offshore. Pour le protéger, l’identité du lanceur d’alerte n’a pas été divulguée aux médias partenaires du Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) qui ont travaillé sur l’enquête.
L’authenticité des fichiers a toutefois pu être vérifiée à deux reprises, par la Süddeutsche Zeitung et par Le Monde. 

Plusieurs fractions de ce « leak », parcellaires et plus anciennes, avaient été vendues aux autorités fiscales allemandes, américaines et britanniques au cours des dernières années, une procédure qui est devenue relativement habituelle, notamment en Allemagne. La France fait ainsi partie des pays qui se sont vus proposer l’achat d’une partie des « Panama papers ». Outre-Rhin, les investigations sur la base de ces documents ont donné lieu à une série de perquisitions en février 2015 contre des banques allemandes soupçonnées de complicités de blanchiment et de fraude fiscale. La Commerzbank, deuxième établissement bancaire d’Allemagne, a accepté en octobre 2015 de payer 17 millions d’euros d’amende pour avoir aidé certains de ses clients à frauder le fisc avec l’aide de sociétés enregistrées par Mossack Fonseca.

Au grand dam de Mossack Fonseca, la société Tremalt Ltd a été citée dans un rapport de l’ONU daté de 2002 qui révélait son activité minière illégale en République démocratique du Congo (RDC) pour financer le régime zimbabwéen. « Le général Sibusiso Busi Moyo conseillait Tremalt (…) qui représentait des intérêts financiers de l’armée du Zimbabwe qui négociait avec des sociétés minières d’Etat de RDC », précise le rapport. Selon les experts de l’ONU, cette société représentée par M. Bredenkamp détenait les droits d’exploitation de six concessions minières de la Gécamines (société minière d’Etat) renfermant près de 2,7 millions de tonnes de cuivre et 325 000 tonnes de cobalt estimées sur vingt-cinq ans.

Or Tremalt Ltd aurait payé seulement 400 000 dollars au gouvernement congolais pour ces concessions, dont la valeur est estimée à plus d’un milliard de dollars. L’ONU souligne que « les véritables bénéficiaires de Tremalt sont dissimulés derrière des trusts et des holdings enregistrés aux îles Vierges britanniques et à l’île de Man ». Et ça, c’est le travail de Mossack Fonseca.

« Dans notre base de données, nous avons également trouvé M. Bredenkamp comme directeur d’autres sociétés qui ne sont pas listées par l’OFAC », écrit un cadre de la firme panaméenne dans un message consulté par Le Monde. Il y en a sept, selon le service de conformité de Mossack Fonseca.

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En 2009, John Bredenkamp apparaît cette fois sur la liste noire de l’Union européenne pour le soutien financier qu’il apporte au régime de Robert Mugabe à travers ses sociétés offshore. Ce qui ne suscite pas pour autant l’inquiétude des cadres de la firme panaméenne. « Le fait est que ce gars est sur la liste [des Etats-Unis et de l’Union européenne] et devrait y rester longtemps. Donc nous devons continuer à être extrêmement prudents [avec lui] », écrit Jürgen Mossack dans un message interne. Plus tard dans la même année, la prudence vire à la panique et Mossack Fonseca rompt tous ses liens avec M. Bredenkamp.

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