Par Antonio Setas (contributeur Le Monde Afrique, Luanda)
LE MONDE Le 27.04.2016 à 15h21
Après la tempête judiciaire marquée par la très lourde
condamnation des 17 revus - de deux à huit ans de prison pour délit de lecture,
des magistrats ont fait preuve de zèle pour défendre les intérêts du pouvoir en
place.
Pour nombre d’observateurs et d’analystes, ces juristes ont
privilégié le costume de « bourreau » à celui de juge indépendant. Comme le
démontre la condamnation à 28 ans de prison prononcée en avril à l’encontre du
chef de la secte évangéliste Lumière du jour, José Kalupeteka. Ce dernier était
le principal accusé lors du procès dit du « Mont Sumé », du nom de cette
montagne située à 25 kilomètres de la ville de Caála dans la province de Huambo,
au centre du pays, où vivaient quelque 3 000 de ses fidèles. Son arrestation
par les forces de l’ordre avait donné lieu à un bain de sang : 13 membres de la
secte sont décédés en plus des policiers, ce qui porte le bilan officiel à 22
morts. Dans son verdict, la cour provinciale de Huambo n’a jamais évoqué les
représailles des troupes gouvernementales soupçonnées d’avoir tué près d’un
millier de personnes.
Arrestations et jugements de morts et de vivants
Cette justice jugée inique par des nombreux Angolais
s’inscrit dans une longue tradition d’absurdité et de détournement des faits.
Quitte à tomber dans de la fiction judiciaire et à adapter les procédures.
Les exemples sont innombrables : il y a le fameux procès
Miala, un chef de la police secrète, accusé en 2006 et sans fondement de
tentative de coup d’État, auquel il faut ajouter des cas nombreux de
journalistes persécutés, ou encore l’affaire Marcos Mavungo, condamné à quatre
ans de prison ferme en septembre 2015 pour avoir osé demander l’autorisation d’organiser
une manifestation pacifique dans les rues de Cabinda.
Certains juges comme José Sequeira, vont plus loin : tout
récemment, il a ordonné l’arrestation d’un cadavre. L’épouse du défunt, qui
devait répondre d’une charge d’abus de confiance dans une affaire d’héritage,
s’est présentée devant le magistrat avec le certificat de décès de son mari. En
vain. Le 8 avril, le juge a renvoyé à la veuve une convocation identique en
tout point à la première. En Angola, la mort n’est pas un motif suffisant pour
se soustraire aux foudres de la justice.
Les vivants ne sont pas mieux lotis et certains risquent de
mourir sous les verrous en raison des lenteurs sidérantes de l’administration.
Sur son site Maka Angola, le journaliste et opposant Rafael Marques fait régulièrement
l’inventaire des situations les plus folles, dignes du Guinness Book des
records. Le dernier cas en date concerne Domingos Manuel Filipe Catete, 32 ans,
incarcéré depuis le 16 mai 2008. Son crime ? Il a été pris en flagrant délit en
train de dormir, ivre, dans une voiture qui n’était pas la sienne. Il croupit
depuis huit ans dans les gêoles angolaises où il a été placé en détention
préventive. L’intervention de Rafael Marques auprès du commandement de la
police nationale est jusqu’à présent restée sans suite.
Nominations administratives ubuesques
Ce cas n’est pas isolé. Nombre de voleurs de poulets et de
citrons pourrissent depuis des lustres en prison. Deux autres hommes, eux
soupçonnés de « vol de vêtements usagés », ont passé respectivement sept et
cinq ans en prison. Mais cette fois, la plainte déposée par le site Maka Angola
a porté ses fruits. Les deux individus ont fini par être libérés.
La communication administrative de la présidence angolaise
témoigne elle aussi de remarquables performances en matière d’absurdité : en
mai 2015, le président José Eduardo dos Santos signe un décret (n°101/15),
portant nomination d’un haut fonctionnaire de la police nationale, le
sous-commissaire Andrew Kiala. Sauf que ce dernier était mort. Qu’importe. Le chef
de l’Etat a tout de même ordonné à son ministre d’organiser la cérémonie
d’intronisation du défunt.
En janvier 2014, on a présenté à la signature du président,
un décret administratif qui octroyait le grade de brigadier à António Vieira
Lopes « Tó », ancien délégué de la police secrète de Luanda (SINSE), alors en
état d’arrêt et répondant au tribunal pour les meurtres de deux militants et
opposants assassinés par les autorités angolaises deux ans plus tôt.
Surpris, le président José Eduardo dos Santos a ordonné une
enquête pour comprendre comment cette promotion était arrivée sur son bureau au
moment où un procès criminel se déroulait contre le colonel Vieira Lopes « Tó
». Les résultats de l’enquête n’ont jamais été publiés. En Angola, justice et
administration semblent parfois au-dessus des lois et de la raison.
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